Rencontre avec le célèbre paysagiste Louis Benech

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A l’occasion de la sortie du livre « Louis Benech, 12 jardins en France », d’Eric Jansen aux éditions Gourcuff Gradenigo, Jardiner Malin est allé à la rencontre du paysagiste français de renommée mondiale, Louis Benech. Celui qui a conçu et réalisé plus de 300 projets, publics et privés, un peu partout dans le monde, de la Corée au Canada, en passant par la France bien évidemment, les Etats-Unis, la Grèce ou encore le Maroc, a répondu avec beaucoup de franchise et d’humour à nos questions.

Entretien avec Louis Benech

JM : Pourquoi avoir présenté seulement 12  de vos jardins dans l’ouvrage « Louis Benech, 12 jardins en France » ? Comment ont-ils été choisis ?  

Le château d'Ô © Eric Sander
Le château d’Ô © Eric Sander

Louis Benech : « Louis Benech, 12 jardins en France » a été écrit avec le secret espoir de refaire vite un « Douze jardins ailleurs qu’en France » ! Non, c’est une boutade. Plus sérieusement, Eric Sander a eu l’occasion de faire des photos de deux de mes jardins  pour des magazines. J’ai trouvé ses photos très belles ! Je lui ai demandé de m’en faire d’autres. Le propriétaire d’un de mes « bébés » lui a également passé commande. Du coup, nous avons ainsi poursuivi notre collaboration sur de nombreux projets. Au bout du compte, ses photos ont mis en lumière mon travail et révélé  des ambiances si différentes, avec des surfaces, des situations, des résultats si divers que nous avons eu envie d’en montrer une poignée qui soit révélatrice de cette diversité. Ainsi, j’ai vraiment pu me rendre compte que mon travail est loin d’être identique d’un lieu à l’autre.

Parmi ces jardins, y en a-t-il un qui a été plus compliqué que les autres à mettre en place ?

Un jardin n’est jamais vraiment compliqué techniquement. C’est un jeu, un plaisir de devoir se limiter, se cadrer dans un contexte. Si cela est difficile, c’est une joie que de trouver des réponses. Sans passer pour un fâcheux, les mises en place sont parfois complexes dans les rapports humains ou dans des cas de protection (légitime) administrative. C’est un peu comme subir des examens de passage, mais vraiment rarement pour des questions géographiques ou physiques d’un terrain.

Dans la préface du livre, il est indiqué que vous aimez l’idée d’un désordre encadré dans quelque chose de structuré.  Est-ce votre vision du jardin ?

Domaine de Vertefeuille © Eric Sander
Domaine de Vertefeuille © Eric Sander

Ce n’est pas faux, mais peut-être un peu réducteur. Dans le monde végétal, il y a toutes les « vitesses » de pérennité (et de croissance aussi d’ailleurs). La structure, comme je ne suis pas minéralier, ce sont les arbres, des haies, …parfois de l’eau. Puis un jardin est toujours un artifice, même lorsque l’on se réfère à des images de spontanéité. Ce dont je suis sûr, c’est qu’effectivement  aucun jardin n’est exclusivement  noir ou blanc. Toujours suivant les capacités d’entretien, je module, tempère, partage les « modes » d’expression, le désordre adouci, la formalité ou la rigidité d’une haie ou la rupture de la régularité d’un verger. Le constat d’Eric Jansen est plutôt vrai dans les images de ce livre, mais il m’est arrivé dans certaines parties de certains jardins de faire du reprisage de paysage en essayant de tendre à une illusion de spontanéité. Je dis souvent que j’aime l’idée que la signature de l’homme soit légère ou au moins adaptée au contexte. A Versailles, par exemple, dans ce qui est perceptible dans la composition embrassable et globale de Le Nôtre, une fois que l’on s’affranchit du vocabulaire de la palissade de charmille stricte et taillée, sans volonté de vouloir exister, puisque lui-même a pratiqué des désordres apparents ( le bosquet des sources), on peut s’autoriser des libertés de laisser-aller à des développements végétaux non contraints.

Vos allées gazonnées tout comme vos vastes prairies semées de graminées ont fait votre notoriété.  Est-ce votre marque de fabrique ?

Les allées gazonnées ne m’appartiennent en aucun cas. A Courances, il y a fort longtemps, l’actuel propriétaire a supprimé toutes les allées de sable des Duchêne. En Angleterre, c’est un lieu commun. Gilles Clément en a fait l’éloge. D’une année sur l’autre, la position de ce type d’entretien peut être revue. Je m’en sers, dès que je peux, c’est-à-dire si le passage n’est pas destiné à deux cents personnes par jour, s’il n’y a pas des allers et venues de véhicules… Si l’on peut, c’est en tout cas mieux que des allées de sable dont les binages ont été abandonnés après la dernière guerre au profit des chlorates de soude et autres glyphosates désherbants infernaux !

Du coup, pourriez-vous nous expliquer justement comment vous procédez pour concevoir un jardin ?

J’imagine que ma réponse sera la même que tous mes autres petits camarades : il y a autant de façons d’aborder la mise en pensée d’un lieu que de lieux. Disons pour faire court que dans un premier temps, il faut compiler les contraintes, les données visuelles et géographiques qui sont primordiales à mes yeux dans le contexte actuel, car peu conceptuelles. Il faut aussi prendre en compte les différents éléments humains, financiers, d’usage, d’entretien futur, on arrive alors au sens. On arrive plus ou moins à percevoir comment la formulation du lieu va prendre corps tout en mêlant objectivité et peut-être intuition.

Domaine de la Balive
Domaine de la Balive © Eric Sander

Une fois ces jardins terminés, vous arrive-t-il d’y retourner pour voir comment ils ont évolué ?

Il n’y a pas de jardins commis que je ne revisite pas, même s’ils ont été déjà revendus ou s’ils ont changé de propriétaire. C’est une nécessité de tuteur… et une réciprocité d’enseignements : les ratés ou les bonnes surprises resserviront à l’approche d’autres jardins.

Actuellement vous travaillez sur la création d’un jardin d’expression nouvelle sur les 15 000 m²  du bosquet du Théâtre d’Eau du château de Versailles. Pourriez-vous nous parler de ce projet ? Où en êtes-vous actuellement ?

Je peux en parler longuement parce qu’il est atypique dans ma propre expérience. Il est fait pour Versailles et seulement pour Versailles, et plus spécifiquement dans le contexte précis de ce bosquet. Le terrain dans lequel il va naître est un quadrilatère vide qui, d’un rapide regard, est une feuille apparemment vierge. Ici, à l’inverse d’un travail issu d’une analyse de site, le jardin restera introverti, en partie coupé du monde pour l’œil mais tenu par la pensée, le souvenir, les moteurs. Il s’est écrit dans une liberté bridée par ce que je crois être important à tort ou à raison, mais que du travail, des explications ou des justifications parfois simplistes, parfois plus complexes puissent sans mimétisme, singerie ou détournement être des  références à l’histoire de ce « Théâtre d’Eau ». Ce sera donc toujours un Théâtre, et animé par de l’eau, dans une clairière de lumière à la forme ronde des deux plantations antérieures avec des jeux d’eau nouveaux mais avec des référents au monarque initialement commanditaire et aux enfants présents dès l’origine dans cette partie du parc (Bassin des Enfants dorés, etc). Tout cela dans un décor essayant de faire allusion aux manières prospectives qui avaient guidé Le Nôtre ; des possibilités de retrouver par des ifs d’Irlande quelques points de repère de ce que le Théâtre avait été à sa construction, tout du moins spatialement dans ses directions, sa surface– ou des reprises de rythmes récurrents comme ceux avec lesquels le bosquet initial avait été composé.  Nous sommes aujourd’hui dans cette phase de passage des idées à la forme (pas faisabilité) mais comment la mise en œuvre du bosquet va s’opérer et donc dans la phase bientôt productrice de documents qui permettront alors d’interroger les entreprises pour faire un choix puis passer aux actes. Dans cette phase, on est en train de chercher avec la pertinence de ce moment, avec tout ce que notre époque peut nous offrir comme réponses techniques, quelle sera l’économie, la fontainerie, ou la « gestion » de ce bosquet aventure.

Le livre

Louis Benech, 12 jardins en France

Auteur :  Eric Jansen

Photographe : Eric Sander

Editeur : Gourcuff Gradenigo

Interview Laetitia Devillars

Crédit photo de Une / Portrait Louis Benech du photographe Eric Sander.